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Liberté de la presse: la Turquie dans la ligne de mire

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La Turquie est depuis des mois au coeur de l’actualité internationale. Non seulement parce qu’elle borde deux des pays les plus convulsés du monde, la Syrie et l’Irak, mais aussi parce que son gouvernement est régulièrement accusé de vouloir imposer un régime autoritaire « à la Poutine », alors qu’il aspire à faire partie de l’Union européenne.

Le 18 septembre, le gouvernement turc, dont on disait qu’il s’était désintéressé de l’Europe, a présenté une nouvelle stratégie d’adhésion qui reflète le souhait de l’Establishment turc de renforcer ses alliances, au moment où les troubles régionaux et, en particulier, la montée de la menace djihadiste prennent une ampleur périlleuse.
Le 8 octobre, la Commission européenne rendra public son « rapport de progrès » sur la Turquie. Ce document fait le point sur le respect par les pays candidats de l’acquis communautaire, mais aussi des « critères de Copenhague », socle minimal des valeurs démocratiques de l’Union. Les textes sont presque prêts, nous dit-on, mais la rédaction finale pourrait encore être influencée par des derniers constats.

Ce n’est pas un hasard si Human Rights Watch, l’organisation internationale de défense des droits humains basée à New York, a publié ce lundi 29 septembre un rapport de 38 pages, intitulé Turquie: la dérive autoritaire menace les droits.  « Au cours de l’an dernier, déclare Emma Sinclair-Webb, le Parti de la justice et du développement (AKP) du président Erdogan a répondu à l’opposition politique en violant les règles, en réduisant au silence les voix critiques, en brandissant un bâton ».
La correspondante de HRW en Turquie se référait évidemment aux événements de Gezi, le parc situé à côté de la célèbre place Taksim à Istanbul, où se déroulèrent des protestations en mai et juin 2013, qui furent durement réprimées par les forces de l’ordre. « L’occupation de Gezi fut un temps de dignité », écrit Vincent Duclert dans son récent livre Occupy Gezi (Editions Demopolis). Elle fut « le commencement d’un mouvement aux configurations indistinctes, mais doté d’une dynamique que personne ou presque n’a imaginée, traversé d’une conviction sans faille, celle d’une liberté revendiquée dans l’invention de l’avenir ».


En dépit de ce mouvement social fortement médiatisé à l’étranger, Erdogan a récemment passé très facilement le cap des élections locales et de l’élection présidentielle. Mais ceux qui annonçaient une modération de l’homme fort d’Ankara n’en sont plus si sûrs. Le gouvernement semble toujours aussi déterminé à domestiquer les réseaux sociaux et à brider Internet. Il poursuit également ses attaques contre le mouvement Hizmet (appelé aussi Fethullah Gulen, du nom de son principal dirigeant). Cet ancien allié, qui se revendique d’un « islam modéré et moderniste », a conquis d’importantes positions au sein de l’enseignement, de la magistrature et des forces de sécurité. Aujourd’hui, Erdogan, qui a été la cible d’accusations de corruption, qualifie Hizmet de “secte” et d’ « Etat parallèle » et les journaux liés à ce mouvement, en premier lieu le grand quotidien Zaman, dénoncent des discriminations et un harcèlement systématiques de la part du pouvoir.

Dans le collimateur

La Turquie est clairement dans le collimateur des associations de défense des droits humains, mais elle est aussi observée de près par des diplomates européens et nord-américains qui se préoccupent surtout de ses actions et réactions dans le contexte tumultueux de la région.
Depuis ce week-end, une imposante délégation de deux des plus importantes organisations internationale de journalistes – l’Institut international de presse, basé à Vienne, et le Comité pour la protection des journalistes (New York)- est en Turquie pour tenter de convaincre le président Erdogan de changer sa politique à l’encontre de la presse. Les délégués demanderont la libération des 11 journalistes toujours incarcérés, mais aussi la modification d’une législation qui, en dépit de récentes réformes, continue à restreindre la liberté d’expression. Ils inviteront également le président Erdogan et d’autres hauts dirigeants turcs à cesser leurs attaques verbales contre des journalistes et, en particulier contre une correspondante du New York Times Ceylan Yeginsu et la correspondante de l’hebdomadaire britannique The Economist, Amberim Zaman. Le président turc est allé jusqu’à accuser cette dernière d’être “une militante sans vergogne déguisée en journaliste“.

Sûr de lui
Ces dernières années, après une période marquée par des réformes qui lui permirent de neutraliser l’armée et de se gagner l’appui « critique » de milieux libéraux et pro-Européens, l’AKP a initié une « contre-réforme » visant à la fois le vieil Establishment laïc kémaliste (héritier de Mustapha Kemal Ataturk, le père de la Turquie moderne), mais aussi les nouvelles générations urbaines libérales libertaires. Fort de son appui électoral confirmé de scrutin en scrutin, fort aussi de la croissance exceptionnelle de l’économie, Recep Tayyip Erdogan avait pu se permettre jusqu’il y a peu de snober l’Union européenne et les Etats-Unis. Il s’en était même pris à Israël, un allié traditionnel de la Turquie et l’un des « déterminants » de la politique extérieure américaine.
« Aujourd’hui, note Emma Sinclair-Webb, alors que la Turquie sent la chaleur de la guerre en Syrie et en Irak, Ankara a renouvelé son intérêt à développer des liens plus étroits avec l’Europe. Mais la Turquie a peu de chance de réussir à se rapprocher de l’Europe si ses dirigeants ne prennent pas des mesures pour revenir sur ce recul des droits et pour renforcer l’Etat de droit ».

Le pari d’un processus d’engagement
Et l’Europe dans tout ça, comment réagira-telle? Même si l’Establishment européen reste largement partisan de l’adhésion, les réalités politiques n’y sont guère favorables. Le nouveau président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, a exclu toute nouvelle adhésion au cours de ses 5 ans de mandat, et de surcroit, les partis hostiles à la Turquie se sont renforcés au Parlement européen, notamment à l’extrême droite. Toutefois, les Turcologues européens semblent faire le pari d’un nouvel engagement avec la Turquie afin de relancer le processus d’adhésion. Et les milieux libéraux et progressistes européens ne sont pas loin de croire de nouveau à la possibilité d’utiliser ces négociations pour appuyer ceux qui, à Istanbul ou Ankara, défendent une démocratie ouverte, pluraliste et apaisée et qui sont aujourd’hui harcelés par le pouvoir.


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